Une ou plusieurs camomilles ?
Dans la flore française, différentes espèces botaniques, appartenant à différents genres (Matricaria, Anthemis, Chamaemelum, Cladanthus, Tripleurospermum, Tanacetum, Vogtia) sont appelées communément “Camomille”. Essayons de faire la part des choses avant de parler plus en détail de la reine des Camomilles : la Camomille romaine.
Il existe tout d’abord des Camomilles secondaires au niveau thérapeutique :
- la Fausse-Camomille, ou Matricaire inodore, dont le nom scientifique valide actuel est Tripleurospermum inodorum (autrefois Matricaria perforata), est une matricaire extrêmement commune en France. On la rencontre dans les friches et les cultures du niveau de la mer à plus de 2000 mètres d’altitude. Certains auteurs lui reconnaissent des propriétés insecticides, toniques, stomachiques et vermifuges.
- la Matricaire maritime (Tripleurospermum maritimum) a longtemps été classée comme une sous-espèce de la précédente. Elle croit naturellement sur les littoraux de la Manche, de la mer du Nord et de l’Atlantique dans les sables maritimes, les friches, les pelouses… On aura garde de la confondre sur le plan nomenclatural avec la Camomille maritime, une toute autre espèce. Aucune propriété particulière ne peut lui être attribuée avec certitude.
- la Camomille maritime (Anthemis maritima) se rencontre, quant à elle, spontanément dans les sables maritimes et les pelouses artificielles de la côte méditerranéenne (Corse incluse). On peut cependant la trouver aussi çà et là, en général subspontanée, dans le Midi et sur le littoral atlantique jusque dans le sud de la Bretagne. Elle serait antispasmodique, vermifuge, vulnéraire et anti-arthritique.
- la Camomille sauvage ou Fausse-Camomille (Anthemis arvensis subsp arvensis) est une plante annuelle des cultures (de céréales notamment) et des friches que l’on peut rencontrer sur tout le territoire français métropolitain où elle y est souvent rare (espèce en régression). Cette espèce aurait été utilisée comme fébrifuge, vermifuge, résolutive et vulnéraire.
- la Camomille puante ou Maroute (Anthemis cotula) est dispersée dans toute la France, bien que rare dans de nombreuses régions (espèce qui serait également en régression). On la trouve, elle aussi, principalement dans les cultures (céréales notamment) et dans les friches. Elle dégage par froissement de ses parties aériennes, une odeur fétide. Elle partagerait certaines des vertus de la Camomille romaine, notamment des propriétés antispasmodiques, vulnéraires, fébrifuges et emménagogues ; elle présente également un caractère allergisant.
D’autres camomilles peu utilisées, mais aux propriétés médicinales ou aromatiques reconnues, figurent également à la flore de France métropolitaine :
- la Camomille mixte ou mélangée, Cladanthus mixtus, était encore récemment appelée Ormenis mixta. Cette espèce méditerranéenne (sud Europe, Afrique du Nord) est une adventice de culture qui fréquente aussi les pelouses, les friches ouvertes et autres lieux incultes aux sols plutôt siliceux. En France on la rencontre dans l’ouest et le Midi où elle n’est jamais très commune ; elle est très rare et occasionnelle sur le reste du territoire. Elle serait bactéricide, neurotonique, anti-infectieuse et aphrodisiaque.
- la Matricaire fausse-Camomille ou Matricaire sans-rayon (Matricaria discoidea), facile à identifier par ses capitules dépourvus de ligule blanc. Originaire du nord-est de l’Asie et du nord-ouest de l’Amérique, elle est naturalisée sur tout le territoire français métropolitain où elle est très commune. C’est une adventice des cultures et jardins que l’on rencontre aussi au bord des routes et des chemins, dans les jachères et les endroits incultes sur sols très tassés. Sans être anti-inflammatoire, elle serait parfois utilisée en succédané de la Matricaire Camomille, particulièrement pour son caractère antispasmodique ; elle serait par ailleurs vermifuge.
- la Camomille bleue, ou Tanaisie annuelle (Vogtia annua, ex Tanacetum annuum) est nommée ainsi en référence à la couleur de l’huile essentielle extrait de la plante. Cette espèce, ouest-méditerranéenne, croit spontanément en France (très rare, plus qu’une seule station actuellement connue, dans le Sud-Est), dans le sud de la péninsule ibérique (Espagne, Portugal), et surtout au Maroc où elle y est également cultivée. On la trouve dans les friches et les terrains incultes sur sol argileux profonds et humides en hiver. Elle serait utilisée en tant qu’anti-inflammatoire, anti-allergique, hypotensive, tonique, digestive, vulnéraire, fébrifuge et sédative nerveuse.
Enfin, voici les camomilles qui jouent un rôle important dans les pharmacopées occidentales :
- la Matricaire Camomille (ou Camomille ordinaire, Camomille vraie, Camomille allemande, Camomille bâtarde, Petite Camomille…), dont le nom scientifique est Matricaria chamomilla (ex Matricaria recutita et Chamomilla officinalis), est une plante annuelle, agréablement odorante qui croit comme adventice dans nombre de nos cultures (les céréales notamment, plante messicole). D’origine ouest méditerranéenne, devenue subcosmopolite, on la rencontre sur tout le territoire français métropolitain jusqu’à 1200 mètres d’altitude. Des vertus antispasmodiques, anti-inflammatoires, stomachiques, apéritives, cholagogues, digestives, fébrifuges, emménagogues, calmantes, décongestives, diurétiques, anti-allergiques et vulnéraires lui sont reconnues.
- la Grande Camomille (Tanacetum parthenium, ex Chrysanthemum parthenium ou Leucanthemum parthenium) est une espèce ouest asiatique et sud-est européenne. Cultivée en Europe occidentale comme médicinale ou ornementale, elle s’y est naturalisée. C’est ainsi qu’on peut la rencontrer en France dans les terrains vagues, les friches et autres lieux incultes, jusqu’à 1200 mètres d’altitude. Elle bénéficierait de propriétés stimulantes, digestives, stomachiques, antispasmodiques, antihystériques, emménagogues, fébrifuges, vermifuges, insecticides et antiseptiques.
- la Camomille romaine, ou Camomille odorante (Chamaemelum nobile, autrefois également dénommée Anthemis nobilis et Ormenis nobilis), est la camomille la plus utilisée dans la pharmacopée française. Les paragraphes qui suivent la concernent spécifiquement.
La Camomille romaine, une espèce bien particulière
La Camomille romaine se reconnaît à un ensemble de critères, tant botaniques que chimiques. En effet, si son odeur est caractéristique, l’observation conjointe de certains critères botaniques permettra d’identifier avec certitude cette espèce.
Description botanique
Vivace, la Camomille romaine se reproduit naturellement par les voies végétative ou sexuée. Si les parties végétatives (stolons) sont couchées voire plaquées au sol, les tiges florifères sont généralement ascendantes ou dressées, cependant l’appréciation de ce critère peut parfois porter à confusion comme en témoigne l’hétérogénéité observable dans la nature au sein d’une même population. L’appareil racinaire, de type pivot, est assez superficiel et ne descend généralement pas à plus de 8 cm de profondeur.
La Camomille romaine présente d’épais stolons souvent rougeâtres sur lesquels naissent des bourgeons de feuilles et de racines (reproduction végétative), ainsi que des feuilles vert-grisâtres (bi)pennatiséquées à lobes courts, étroits et aigus mesurant 2,5-4 mm x 0,5 mm ; ces dernières sont le plus souvent au moins légèrement pubescentes. Les tiges, ramifiées et feuillées, portent les inflorescences qui se présentent sous la forme de petits capitules bombés composés de fleurs blanches en languette en périphérie (sur un seul rang), et de fleurs jaunes dites « tubulées » au centre. Entre les fleurs du centre, le réceptacle porte également des écailles membraneuses larges, concaves et obtuses, lacérées au sommet (loupe). Les bractées, largement membraneuses, sont plaquées autour du réceptacle pour former un involucre hémisphérique.
Hermaphrodites et seules fertiles, les fleurs jaunes du centre des capitules se prolongent et recouvrent/coiffent le sommet de l’ovaire sur toute sa périphérie et de manière régulière. L’akène (ou fruit sec appelé abusivement « graine ») produit par chacune des fleurs tubulées mesure 1-1,2 mm x 0,2-0,3 mm et est orné de trois côtes longitudinales sur la face ventrale ; lisse par ailleurs, il prend une teinte grisâtre variable (gris-marron à gris-jaunâtre) à maturité. Après maturation complète des akènes, les fleurs ligulées blanches (uniquement femelles et stériles) tombent, les capitules toujours dressés prennent une teinte terne, et les pédicelles floraux se lignifient.
Habitat et distribution géographique
En France, la Camomille romaine se rencontre principalement sur sols siliceux, sablonneux relativement tassés et humides en hiver, jusqu’à 600 m d’altitude. Bien que son port couché puisse tapisser le sol là où elle abonde, elle paraît sensible à la compétition, notamment pour la lumière ; ainsi cette camomille occupe surtout des milieux ras bien exposés où le développement d’autres espèces est limité, à l’image des berges des plans d’eau et des pelouses tondues ou piétinées. Elle peut s’y maintenir à la faveur de la pérennité des contraintes environnementales naturelles ou artificielles : tassement, tonte, écorchage, variation du niveau d’humidité du sol, etc. Présente quasi-exclusivement à l’ouest d’une ligne Amiens-Dijon-Toulouse, la Camomille romaine est clairement d’affinité atlantique même si elle est localement présente sous climat méridional ou continental.
A plus grande échelle, son aire naturelle de répartition s’étend en Europe occidentale (France, Royaume-Unis, Irlande, Espagne, Portugal), ainsi que localement au Maghreb (Maroc) ; elle s’est par ailleurs naturalisée sur le continent américain.
Photos de l’espèce dans son milieu :
Variabilité intra-spécifique
A l’heure actuelle, la Camomille romaine est riche de deux « variétés » reconnues : les cultivars ‘Flore pleno’ et ‘Treneague’. Considérés comme stériles, ces deux taxons sont vraisemblablement issus de mutations et se présentent donc sous forme de clones (on ne les retrouve pas à l’état naturel).
Le premier est particulièrement connu car c’est « la Camomille romaine » des jardiniers, des herboristes et des laboratoires pharmaceutiques. Cette camomille communément appelée « Camomille à fleurs doubles » se reconnaît à ses inflorescences presqu’entièrement composées de fleurs ligulées blanches prenant ainsi l’allure de pompons blancs. L’absence (quasi)-totale de fleurs jaunes fertiles explique la stérilité du cultivar et oblige donc les producteurs à le multiplier par division de touffe. L’absence de variabilité génétique liée à la culture du clone complique sa production en cloisonnant les possibilités de résistance à certaines pathologies comme le dépérissement engendré par des ravageurs (ici les diptères Napomyza lateralis [Fallen] et Psila rosae [F.]).
Le deuxième, moins connu, est proposé en horticulture comme une espèce tapissante à odeur agréable ; elle se reconnaît à son incapacité à produire des tiges et inflorescences d’où sa stérilité.
Enjeux pour la filière PPAM en France
Si l’on peut considérer que la Camomille romaine est la reine des camomilles françaises, c’est que des enjeux économiques importants la concernent en lien avec ses vertus médicinales : des propriétés antispasmodiques, calmantes, antiparasitaires, anti-inflammatoires, apéritives, stomachiques, digestives, carminatives, fébrifuges, emménagogues et vulnéraires lui sont particulièrement reconnues.
Même si des principes actifs sont produits par l’ensemble des parties aériennes de la plante, c’est dans ses capitules que se concentre son intérêt pour la pharmacopée : tandis que les herboristes y trouvent de quoi soigner avec élégance certains troubles (utilisation des capitules en infusion), l’huile essentielle qui y est produite est très recherchée. Cette dernière semble stockée dans des glandes sessiles disposées sur les fleurs, les ovaires et les bractées involucrales ; il est probable que de l’huile essentielle soit également stockée à l’intérieur même du réceptacle floral qui est rempli de tissus lâche.
En France, cette camomille est cultivée sur près de 300 ha, principalement en Anjou, une superficie importante pour la filière mais insuffisante pour répondre à la demande du marché actuel.
Compte-tenu de la diversité génétique restreinte du matériel végétal cultivé, serait-il possible de faire progresser substantiellement la qualité agronomique de ce matériel ainsi que les rendements et la qualité de l’huile essentielle produite ? Voici une des questions que se posent les acteurs de la filière PPAM qui ont missionné le CNPMAI, à partir de 2017, pour mener une étude sur la diversité génétique de la Camomille romaine. Cette étude devrait permettre, on l’espère, de contribuer à mieux connaître le potentiel de cette espèce et d’ainsi asseoir la compétitivité et donc la durabilité de la production française.