Poison mortel, narcotique violent ou secret de beauté, Atropa belladonna nous offre différentes facettes. A la lisière entre le bien et le mal, la séduction et la mort, découvrez les multiples visages de ladite fiancée du Diable : la bien nommée Belladone.
Qui est cette belle inconnue ?
La Belladone est une plante vivace très ramifiée, pouvant atteindre plus d’un mètre. Cette solanacée est également appelée Belle dame, malgré l’odeur fétide qu’elle dégage. Qui plus est, elle peut porter des poils, comme elle peut être glabre. Ses feuilles ovales sont pointues et légèrement sinuées. Les fleurs en cloches retombantes sont solitaires. D’une inquiétante couleur pourpre brunâtre, elles donnent naissance à de grosses baies noires et luisantes semblables à des cerises (1). Cette apparence trompeuse coûta la vie aux quatorze enfants de la Pitié, qui s’empoisonnèrent de ces fruits en 1773, au Jardin du Roy à Saint-Denis (2). En effet, toute la plante est toxique, mais les baies le sont davantage, ce qui vaut à la Belladone le sobriquet de Cerise du Diable.
Traitresse notoire, la Belladone pousse dans des milieux qui n’inspirent guère la confiance. Elle apprécie les sous-bois clair, le long des haies, les terrains vagues, ainsi que le voisinage des vieilles maisons et des ruines (3). Pourtant elle reste assez peu répandue en milieu naturel. Vous aurez plus de chances de la croiser dans un jardin… L’ennemi est souvent plus proche qu’on le croit.
Atropa belladonna : un nom, deux histoires de femmes
C’est Atropa, un personnage féminin de la mythologie Grecque, qui a donné son nom de genre à la Belladone (3). Qui est donc cette Atropa ? Il s’agit de l’une des trois Moires, aussi connues sous le nom de Parques dans la mythologie Romaine. Ces sœurs légendaires sont les maîtresses du destin des Hommes, elles sont souvent représentées sous les traits de vieilles fileuses au visage sévère. Chacune a son rôle : Clotho, la benjamine, forme le fil de la vie. La cadette, Lachésis, mesure ce même fil. Tandis qu’Atropa, l’aînée, tranche celui-ci et arrête tout net la vie de l’infortuné. Aussi vieilles que la Nuit, la Terre et le Ciel, ces trois divinités représentent le rythme de la vie, et la nécessité de la mort. Le lien entre la Belladone et son homonyme mythologique en dit long sur le caractère néfaste de la plante. Son cocktail d’alcaloïdes toxiques est détonnant : atropine, scopolamine, nicotine (4) (5) … Au-delà de l’esprit, c’est le corps qui finit paralysé, jusqu’à la mort par arrêt respiratoire. Et le fil de la vie est rompu !
Pourtant les coquettes de la Renaissance Italienne ont fait un grand usage de cette plante. Voici l’origine du nom de l’espèce Belladonna : Une petite quantité de baies mélangée à du fard à paupières permettrait d’agrandir la pupille, donnant ainsi à ces femmes un regard plus qu’enjôleur. Certains racontent que le suc de la plante était directement appliqué au goutte à goutte à la surface de l’œil. Grâce à l’atropine contenue dans la Belladone, elles pouvaient temporairement neutraliser le muscle rétinien qui contrôle l’ouverture de l’œil. On peut douter de l’intérêt d’une pupille bien dilatée dans les jeux de la séduction. Pourtant il s’agit d’un signal physique de disponibilité sexuelle. Les belles femmes de la cour, Bella donna en Italien, ont donc dû faire tourner bien des têtes. A moins que ça ne soient les yeux des belles qui aient tourné ! Effectivement l’abus d’atropine pouvait provoquer une légère divergence oculaire, d’où peut-être l’expression « avoir une coquetterie dans l’œil » ? (2)
La Belladone, c’est l’union des contraires, où le plaisir flirte avec l’agonie. Derrière les intrigantes des cours Florentines de la Renaissance et l’implacable Atropa de l’Antiquité Grecque, on retrouve un autre dualisme. Belle dame, Bonne dame c’est ainsi que jadis on nommait la Fée OU la Sorcière !
Dépasser l’ambivalence
Souvenons-nous d’un temps où les « Femmes savantes » n’étaient pas tournées en ridicule. D’après Jules Michelet, la Sorcière fut bel et bien « l’unique médecin du peuple, pendant mille ans ». Si une dizaine de baies de Belladone peuvent provoquer la mort d’un Homme, on imagine facilement le sentiment de défiance que pouvaient ressentir les populations, vis-à-vis de celles qui maîtrisaient les effets de cette plante. Vénérées lorsqu’elles soignaient, décriées lorsqu’elles n’y parvenaient pas, elles sont demeurées des figures puissantes et redoutées (6).
La Belladone est étroitement liée aux forces occultes et à l’effrayant mystère de la Nature. On disait dans la Vienne que « toute âme renaît après la mort, exceptée celle de la personne empoisonnée à la Belladone ». Pour le malade soigné par la Bonne dame, l’enjeu était de taille. D’autant que la Belladone était également connue pour son efficacité lorsqu’il était question d’empoisonner les Loups (3). Voilà qui fait frissonner davantage que la fièvre.
Narcotique, sédative, antispasmodique, régulatrice des sécrétions de toute nature… et potentiellement mortelle. La Belladone est aujourd’hui utilisée en homéopathie contre les états fébriles, les spasmes ou encore l’hypertension. Des propriétés et des risques contradictoires déjà identifiées par les Bonnes fées et Sorcières. Toujours selon Michelet, chacune savait que « La Belladone guérit de la danse en faisant danser. Audacieuse homéopathie, qui d’abord dut effrayer ; c’était la médecine à rebours » (6). La Belladone peut-être aussi néfaste que salvatrice, à condition d’en connaître les secrets et les usages. Devant l’échec du soin, on a attribué la faute au caprice de la plante ; ou pire encore, au bon vouloir de la Sorcière. Celles-ci ont été punies, injuriées, violentées et mises à mort par dizaines de milliers. Ainsi, qui détient le monopole de la brutalité ?
La Belladone n’est donc pas dénuée de sagesse. Bien loin d’un clivage simpliste entre bonne et mauvaise herbe, elle est à l’image de la complexité du monde. Au-delà du bien et du mal, elle évoque par la figure d’Atropa la fragilité de nos existences et notre soumission totale aux lois de la Nature. De manière plus pragmatique, elle illustre parfaitement la dualité des plantes médicinales, et nous rappelle que leur utilisation requière un maniement subtil ainsi qu’une grande connaissance.
Si vous souhaitez vous plonger dans le mystère de ses baies sombres et luisantes, ne manquez pas la fructification de la Belladone en fin d’été au Conservatoire des Plantes. Soyez prudents, ne vous laissez pas envoûter.
(1) COSTE H. (ABBE) – Flore descriptive illustrée de la France de la Corse et de ses contrées limitrophes, Tome 2. Librairie Scientifique et Technique, 1990, 627 p. ISBN : 2-85367-058-9
(2) BERTRAND, Bernard – L’herbier toxique. Editions Plume de carotte, 2014, 187 p. ISBN : 978-2-36672-065-5
(3) VILA, Christian. Les secrets des Plantes Magiques. Hugo & Cie, 2010. 244 p. ISBN : 9782755606157
(4) https://www.vidal.fr/substances/431/atropine/
(5) BECKER, Georges. Plantes toxiques. Gründ, 1984. 224 p. ISBN : 2-7000-1811-7
(6) MICHELET, Jules. La Sorcière, 1862. Édition numérique proposée par publie.net, première mise en ligne le 30 octobre 2011. ISBN 978-2-8145-0544-5