Cet été au Conservatoire National des Plantes, nous avons eu la surprise d’assister au développement spectaculaire d’un pied de Datura stramoine d’un mètre soixante-dix ! Où s’arrêtera-t-il ?
Ce pied est issu d’un re-semis naturel, il a poussé spontanément là où il s’est trouvé bien. Si on le compare aux autres Daturas qui ont été plantés par notre équipe, on observe une différence de taille de près d’un mètre. Sa croissance spectaculaire est encore sans explication.
Carte d’identité du Datura stramonium
Le Datura est connu sous différents noms. Parfois simplement Stramoine, ou parfois par d’autres noms évocateurs comme « Pomme épineuse », « Herbe aux Sorcières » … Cette plante est une annuelle, à racine pivotante. Elle est verte et presque glabre* ; elle mesure habituellement entre quarante centimètres et un mètre de hauteur. Elle présente de grandes feuilles largement sinuées-dentées*. Ses fleurs, solitaires, sont généralement blanches, longues de six à dix centimètres, pourvue de lobes lancéolés et aigus. Ses fruits sont des capsules ovales, dressées, épineuses, dans lesquelles se trouvent de nombreuses petites graines réniformes* de couleur noire. (1)
Une adventice envahissante
Le Datura stramoine apprécie les champs, friches et décombres ainsi que les sables en bordure de rivière. Grâce aux très nombreuses graines contenues dans ses capsules, elle prend une place importante dans la banque de graines du sol et trouve bien souvent dans les cultures estivales une belle opportunité pour proliférer dans les parcelles agricoles. Double nuisance car en plus de concurrencer la plante cultivée, elle peut également se mélanger aux récoltes et contaminer celle-ci de ses alcaloïdes toxiques !
Elle peut également prendre ses aises au jardin. Certains conseillent de planter ensemble Datura et Pomme de terre afin de lutter contre les Doryphores. En effet, ces derniers sont bien connus pour apprécier les plants de Pomme de terre, mais préfèreraient pondre sur les Daturas et les larves auraient tôt fait de s’y empoisonner dès leur premier repas. Les bienfaits réels de cette pratique restent à vérifier… (2)
Une famille ensorcelante
Datura stramonium fait partie d’une famille qui fournit à la fois d’excellents légumes mais aussi des poisons redoutables : Les Solanacées. Dans cette famille on trouve notamment les Pommes de terre (Solanum tuberosum), les Aubergines (Solanum melongena), les poivrons (Capsicum annuum) … dont nous consommons les tubercules ou les fruits à maturité et qui sont sans danger pour nous. Pourtant elles contiennent toutes des alcaloïdes* toxiques, principalement de la solanine ; ainsi les autres parties de ces plantes, feuilles, fleurs, tiges, ne sont pas comestibles. (3)
Les Solanacées comprennent aussi certaines plantes reconnues comme psychotropes. Avec la Mandragore (Mandragora officinarum), la Jusquiame noire (Hyosciamus niger ), la Belladone (Atropa belladonna), le Datura forme le quatuor infernal des plantes de sorcières. Ces quatre plantes sont reconnues pour troubler le corps et l’esprit. Leur secret ? A nouveau les alcaloïdes ! En ce qui concerne le Datura on retrouve de l’hyosciamine, un peu d’atropine et de la scopolamine. Un cocktail détonnant qui agit sur le système nerveux et provoque sècheresse, amnésie, confusion mentale, hallucinations sévères ainsi qu’une apathie totale. Longtemps utilisée comme analgésique, mais aussi comme traitement contre l’asthme, son usage est tombé en désuétude face aux risques liés à la consommation de cette plante.
Un bad trip historique
Le Datura est connu depuis des siècles comme poison et drogue notoire. Au Ier siècle avant J.-C. des chroniques rapportent que les Celtes empoisonnaient les pointes de leurs flèches avec du suc de Datura. On imagine facilement que l’ennemi qui survit à sa blessure se retrouve fatalement dans l’incapacité de combattre.
Cependant la plupart des cas d’empoisonnement sont accidentels, comme ce cas d’intoxication collective dont les soldats de l’Empereur Romain Marc-Antoine ont souffert. En 37 avant notre ère, les Romains partis en expédition contre les Parthes ont subi une sévère correction et se sont retrouvés contraints de battre en retraite. Affamés et dépourvus de tout, les soldats se nourrirent d’herbes et de racines qui leur étaient inconnues. On raconte que ceux qui avaient consommé du Datura « oubliaient tout ce qu’ils avaient fait jusque-là. Leur occupation principale était de tourner et de retourner toutes les pierres qu’ils trouvaient sur leur chemin. » Une hallucination collective qui s’est achevée par le décès d’une partie de ces hommes.(4)
Louis Lewin, pharmacologue Allemand du XIXe siècle rapporte le témoignage suivant : « Au moyen de cette drogue, on peut aussi faire ce qui vous plait des femmes et obtenir d’elles beaucoup et même pour ainsi dire tout. C’est pourquoi je ne crois pas qu’il existe sur terre une plante plus nuisible… » On raconte qu’en Indonésie et au Mexique, d’autres variétés de Datura sont employés en guise de philtres d’amour aphrodisiaques, le Datura n’en finit pas de nourrir sa réputation sulfureuse. (5)
Certains malfaiteurs profitent des effets psychotropes du Datura pour détrousser leurs victimes. Cette pratique est connue depuis le XVIe siècle avec la bande des « Endormeurs » qui offraient des feuilles séchées de Datura en guise de tabac à leurs proies. Parfois les malheureux se réveillaient volés mais vivants, parfois ils ne se réveillaient jamais. La méthode perdure encore de nos jours, notamment en Amérique Latine. Des prostituées se bouchent les narines avec du coton et passent un peu de « souffle du Diable » sur les lèvres. La victime, en confiance, s’intoxique tranquillement et perd rapidement toute volonté. A partir de cet état second tout est possible pour les voleurs : compte en banque, clés de voitures, accès au logement… Ce n’est pas pour rien qu’on appelle le Datura « Herbe au zombie » ! (6) (7)
Si cet article a suscité chez vous un mélange de curiosité et d’effroi, alors venez observer cet incroyable pied de Datura qui a pris ses quartiers au Conservatoire National des Plantes à Parfum, Médicinales et Aromatiques.
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Glabre : dépourvu de poils
Sinué-denté : qui présente à la fois des bords à angles arrondis et peu profonds et bordé de dents
Réniforme : en forme de rein ou de haricot
Alcaloïde : Substance organique azotée d’origine végétale, ayant une puissante action toxique ou thérapeutique (ex : caféine, morphine, quinine…)
Sources:
(1) COSTE H. (ABBE) – Flore descriptive illustrée de la France de la Corse et de ses contrées limitrophes, Tome 2 – Librairie Scientifique et Technique, 1990, 627 p. ISBN : 2-85367-058-9
(2) https://www.aujardin.info/trucs/1551-datura-contre-doryphore.php
3) BECKER, Georges. Plantes toxiques. Gründ, 1984. 224 p. ISBN : 2-7000-1811-7
4) VILA, Christian. Les secrets des Plantes Magiques. Hugo & Cie, 2010. 244 p. ISBN : 9782755606157
5) Idem
7) https://www.opnminded.com/2017/01/13/scopolamine-drogue-diable-france-danger.html